Par Renée Valet-Huguet
Suspecte pour certains, échappatoire au train train pour d’autres, la nuit, qu’on la choisisse sonore ou silencieuse, a un rôle de premier plan dans nos équilibres, dans l’essor des villes. La pandémie a eu raison des bruits de la nuit, a rasé la surface de rencontres, de création, de plaisir, de métamorphose, de transgression. Nostalgie
Reine de la nuit
Couvre-feu. Pour Myriam le mot évoquait simplement des époques perdues. Guerre de 40, guerre d’Algérie. « Rien de réel », nous souffle cette femme à la fois extravertie et guindée. Puis, « et maintenant, reconfinement. Sans la nuit je perds pied. »
Telle l’héroïne du déroutant À la recherche de mister Goodbar, de Richard Brooks, 1977, Myriam se délie la nuit venue. « J’ai des lieux de prédilection. Ça brasse, je fais des rencontres, mon discours change, je suis dans la hardiesse, la séduction permanente. La nuit, c’est l’inattendu. Pour moi, c’est une question de survie, enfin, presque.» Soudain un éclat de panique dans la voix. « Et si c’était fini pour toujours, la nuit ? »
Trouver une autre forme de fuite. Trouver le moyen de contrer la mélancolie qui s’est abattue sur ce monde particulier. Les dégâts s’étendent bien au delà de l’économie.
Nuits électriques
« La nuit est beaucoup plus vivante et richement colorée que le jour », disait Van Gogh. Et le Musée d’art moderne du Havre l’a démontré tout au long de l’exposition « Nuits électriques. » Des toiles de maîtres et de peintres moins connus qui ont célébré la nuit. Celle d’autrefois, noire, avant l’apparition de l’éclairage artificiel au XIXe siècle, et celle, peu à peu embrasée de différentes sources lumineuses. À travers les représentations diurnes des impressionnistes, le réverbère symbolisera la classe sociale ; fortement décoré ou maigrelet, tordu même dans les quartiers de misère.
Nuits de Satan
Les mystères de la nuit charpentent romans et poèmes, et le cinéma découpe des silhouettes inquiétantes dans la profondeur de son propre noir et blanc. Quelque chose du frisson.
Métamorphoses nocturnes
La nuit accuse les singularités. Habile façon de s’approprier les êtres plus sensibles à l’imaginaire qu’au réel. Un collectif se livra à elle, prenant son nom : Plusbellelanuit. Son ambition ? Porter au sommet tous les élans, toutes les beautés confondus. À la proue, Chantal la nuit. Les nuits lyonnaises prirent alors un autre tour. Des soirées enflammées d’une musique hautement pointue et de performances artistiques, le dancefloor exhalait les fragrances de la culture transgenre, queer, mais pas seulement. La liberté d’être qui l’on veut. Paillettes, fluo, talons pin-up ou baskets. Voguant de lieu en lieu, la bande se pose enfin, au Sucre. Les soirées Garçon Sauvage débordent de monde. On y va comme à un rendez-vous, fébrile, sapé comme personne. Néanmoins, derrière l’apparente frivolité du monde de la nuit, se tiennent, près au débat, des esprits citoyens concernés par l’urgence écologique, la lutte contre les inégalités, contre l’homophobie.
Aujourd’hui la boule au plafond s’est éteinte. Laissant hébétée la bande Garçon Sauvage. David Bolito ne mixe plus. Chantal la nuit, Frenesy, préposées au volet artistique, distillent au public des photos iconiques, via les réseaux sociaux.
Et, tout naturellement, le collectif a rejoint « l’appel des indépendants ». L’énergie se déploie la nuit comme le jour.
Une chanson entretient notre nostalgie : La nuit je mens, d’Alain Baschung.
Mais, comme chantait Léo Ferré, abuser de la nostalgie, c’est comme l’opium ça intoxique (Le temps du tango).
Photo de couverture Christine Marie H. Messanges
Renée, très beau texte, on pense à Prévert, à la musique de Miles Davis dans Ascensseur pour l’echafaud, et l’iconographie est , si faire se peut, encore plus marquante que d’habitude, jamais illustrative, jamais redondante. Le confinement te réussit!
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Merci François, je suis infiniment touchée. J’ai mis là ce que j’ai dans mon coeur. Résonnait effectivement des musiques de films, la douce nostalgie des films de minuit. Celle, aussi, des nuits qui ont rythmées ma jeunesse.
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De 1973 à 1983, j’étais à Lyon. Et Dieu sait que j’ai été un animal nocturne. Ton texte est beau, parce qu’il porte notre jeunesse plus ou moins débridée. Il contient nos premières fois, nos joies, nos tristesse, notre folie et nos errances. Il sent bon l’amitié, l’amour, les soirées à refaire le monde, qui d’ailleurs en a grand besoin.
Merci et bonne soirée Renée,
Régis
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Nous aurions pu nous croiser, cher Régis. Merci pour tes mots. Je me doutais que l’article toucherait ta sensibilité. « Les souvenirs c’est comme l’amour, quand y’en a plus y’en a toujours » comme chantait le si regretté BREL.
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Mon QG était rue Mercière. 😉
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Je la hantais aussi!
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J’étais au pub de Paul ou au bar qui existait là où est maintenant le Mercière, le restau que Jean-Louis, le viking, a monté et que sa fille a repris. Toujours aussi bon, d’ailleurs…
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Pareil! Le Mercière fut ma cantine.
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Excellent article Renée. Et superbement illustré (j’adore le tableau de Van Gogh). Nous, les nuits, après les caves de
Saint Germain des Prés et les petits restos du coin, nous avons fréquenté les cabarets qui accueillaient Barbara, Jean Yanne, les Frères Ennemis, et tant d’autres. Nostalgie, nostalgie. Espérons que l’on connaîtra à nouveau un peu de légèreté et de liberté.
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Merci Claude. J’ai aimé lire tes souvenirs des nuits de cette époque si riche. Je regrette souvent de n’avoir pas connu le tabou et ces cabarets d’où viennent de grands talents. Oui, la nuit finira bien par revenir. Égratignée certes mais prête à nous réenchanter.
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La nuit je mens
Je prends des trains a travers la plaine
La nuit je mens
Effrontément
J’ai dans les bottes des montagnes de questions
Où subsiste encore ton écho
Où subsiste encore ton écho.
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Oh! Véronique, cette chanson m’obsède. J’aurais voulu l’écrire… Merci.
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Très joli texte comme d’habitude, et photos somptueuses qui réveillent toutes les nostalgies…Et la frustration de ne plus pouvoir accéder à la nuit, pour cause de confinement. Mais je me dis qu’il y a des jeunes, quelque part, bravant l’interdit, qui se fabriquent peut-être leurs plus beaux souvenirs ! La nuit se vole, maintenant !
Je pense à une chanson toute simple, mais efficace : « 5h du mat’ j’ai des frissons, je claque des dents et je monte le son. Seul sur mon lit dans mes draps bleus froissés, c’est l’insomnie, sommeil cassé… » Pour les noctambules, il y a effectivement de quoi « perdre la tête » et se sentir « tout seul, tout seul, tout seul ».
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Merci Manuela pour ce fin commentaire, où tout est franchement vrai. » La nuit se vole, maintenant! » Frissons… Cela me ramène à notre dernière conversation : le froid brusquement dans les os.
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Merci Renée de nous faire rêver à travers vos mots magiques!
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Merci à vous de me lire
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