Par Renée Valet-Huguet
Cet été, en Provence, les cigales chantent la légende d’Azzedine Alaïa. À Lacoste, précisément. Petit village médiéval perché où la mode sculpturale du « dernier grand couturier » s’expose. Au SCAD Museum de Lacoste. L’exposition Azzedine Alaïa, l’art de la mode, jusqu’au 29 octobre 2022


En apprenant que le Savannah College of Arts and Design amenait un éclat supplémentaire à la Provence en exposant, à Lacoste, vingt modèles iconiques d’Azzedine Alaïa, nous avons exulté ; et aussi souri. Avec un grain de malice. Comprenez, Lacoste était le fief du marquis de Sade, lequel avait eu justement, à un moment, quelque chose à voir avec l’histoire du couturier : on est en 1979, Alaïa bâtit pour le chausseur de luxe, Charles Jourdan, une petite collection de prêt-à-porter cuir. Sortent des robes pavées de pièces métalliques, oeillets, zips, des bérets, des gants. Silhouettes séductrices, audacieuses, marquées au sceau d’un nouveau, d’un unique savoir-faire. Silhouettes qui conjuguent féminité, sensualité, élégance. Mieux qu’un slogan ! Le chausseur refuse la collection. Trop provocante pour sa marque. « Ils ont crié, ils ont dit que c’était sado-maso ! », racontait Azzedine Alaïa. Qui garde toutes les pièces, devenues emblématiques de son travail.

Il n’empêche que la collection détonante conduit certains journalistes à regarder de plus près ce couturier niché depuis 1964 dans un appartement atelier, rue de Bellechasse, que hante une clientèle privée, hautement distinguée, surtout jalouse. Michel Cressole publie en 1979, dans Libération, le tout premier grand article sur Alaïa, qui dira plus tard, « C’est le premier journaliste d’un grand quotidien qui est venu me voir. À l’époque, je ne faisais pas de collections. Je cousais pour des clientes. Son papier a tout déclenché. »

La féminité comme obsession
Azzedine Alaïa a rendu aux femmes l’amour qu’elles lui portaient en les magnifiant. Depuis la prime jeunesse, à Tunis, où, initié à la couture par sa soeur, Hafida, il reproduisait des modèles de Dior ou Balmain pour les grandes familles de sa ville natale. L’envol ensuite, à Paris. Les fabuleuses rencontres, tissées au fil de l’admiration, de la confiance. Les femmes lui ouvriront les portes.
À la manière d’un sculpteur, le couturier redéfinit les contours féminins. Propose des matériaux extensibles innovants. Ses créations, rapidement esquissées, taillées ensuite sur mannequin vivant, restituent le chaud du corps d’une femme. « Ses robes sont hors du temps, hors la mode. Ses vêtements, c’est des caresses pour les filles » dit Olivier Saillard, historien de la mode, directeur de la Fondation Azzedine Alaïa, Paris.

« Son » art de la mode
Quand, au début des années 80, s’impose le renouveau de la mode, le couturier fonde finalement sa marque, Azzedine Alaïa ; poussé par la journaliste Melka Treanton, appuyé par Thierry Mugler, avec lequel il a travaillé. Définitivement à l’écart des tendances, il crée à son rythme.
« C’est un des plus grands ! » s’exclame Didier Ludot, le pape du vintage, tandis que nous quittions le décor étonnant de la nouvelle boutique d’Alaïa, rue de Moussy. C’était une soirée claire de l’année 1991.
Aujourd’hui, les « classiques sexy » du virtuose de la coupe et des proportions sont telles une institution. Ses tailleurs structurés, blouses, robes zippées, ont été choisis pour ouvrir les festivités du vingtième anniversaire du Savannah College of Arts and Design, planté en Provence. Vingt modèles issus des archives personnelles d’Azzedine Alaïa. Un condensé d’esthétisme et de féminité. Très exactement des chefs d’oeuvre.

Exposition réalisée en collaboration avec Olivier Saillard, directeur de la Fondation Azzedine Alaïa.
L’exposition Azzedine Alaïa, l’art de la mode, jusqu’au 29 octobre 2022 au SCAD Museum de Lacoste en Provence. Ouverte au grand public, du lundi au samedi de 10h à 19h, Rue du Four à Lacoste.

Le lieu d’exposition, situé à deux pas du Château de Lacoste, refuge du marquis de Sade, présente aussi un petit documentaire où résonne la voix de Naomi Campbell, retraçant l’histoire du couturier, qu’elle surnommait « Papa ». Autour de l’événement, des festivités, organisées par Le Savannah College of Arts and Design, ainsi l’inauguration du jardin de sculptures, en septembre, ou une représentation théâtrale prévue en octobre. En même temps, en profiter pour parcourir le Lubéron !

Source : https://fondationazzedinealaia.org/timeline/
Photo de couverture : SCAD
Le divin marquis doit s’en réveiller la nuit! En tout cas, Alaïa méritait bien une expo, surtout de cette qualité
J’aimeJ’aime
Château étrange ! Forcément il s’y passe des choses, la nuit ! Actuellement les invitées doivent emprunter les robes d’Azzedine Alaïa ! Comment résister ! Merci François d’être venu faire un tour à Lacoste !
J’aimeJ’aime
Sculpter le corps des femmes dans des tissus improbables est d’une incroyable audace qu’aucun autre styliste n’a oser tenter… Avec Alaïa toutes les femmes ressentent leur féminité !
J’aimeJ’aime
Oui ! Et elles se sentent audacieuses !
J’aimeJ’aime
Prière de lire « a osé » au lieu de « a oser » merci…
J’aimeJ’aime
Très bel article, encore une fois.
J’aimeAimé par 1 personne
Régine, je suis très très sensible à votre appréciation. Je vous en remercie. Je me doutais que le couturier avait votre admiration…
J’aimeJ’aime
Je suis allé plusieurs fois dans la halle Eiffel contiguë à ses ateliers, notamment pour 3 ou 4 anniversaires de Yohji. C’est dire si les plus grand se respectaient tandis que les autres se jalousaient. L’humilité et le génie contre la mediocrité et le pastiche.
Au fait certains hommes peuvent être jaloux de ces pièces zippées !
En tout cas j’en connais au moins un 🥰
J’aimeJ’aime
Merci Yvon de nous entraîner dans les coulisses de la mode. Je suis de ton avis bien sûr ! J’aimais l’homme qu’était Azzedine Alaïa. Sa gentillesse extrême, sa manière de ne pas se soumettre aux diktats de la mode, sa générosité. Sa cuisine qui accueillait ses amis, ses collaborateurs, tout le monde. Il tenait son sens de l’accueil de sa grand-mère, qui avait l’habitude de mettre plusieurs couverts, au cas où quelqu’un passerait…
J’aimeJ’aime
Un grand couturier en effet. » Ses vêtements, c’est des caresses pour les filles », oui, chaque robe était d’une sensualité inouïe. De tacites connivences liaient les femmes et Azzedine Alaïa. Merci encore, chère Renée, pour ce nouvel article réjouissant.
J’aimeJ’aime
Merci chère Sylvie ! Je vois que, comme moi, vous avez retenu la remarque d’Olivier Saillard, parce qu’elle est si vraie, « des caresses pour les filles »… Il y avait, de fait, un lien fort entre Azzedine Alaïa et les femmes, il était l’homme qui aimait les femmes, pour reprendre le titre du film de François Truffaut.
J’aimeJ’aime