Par Renée Valet-Huguet
Si Jean-Paul Gaultier nous était conté… Ou l’histoire d’un couturier fait de fougue et de cinéma, qui met en scène, à la Cinémathèque, ses sources d’inspirations. Vadrouille entre les styles et les genres. « Moteur »


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Est-ce cette phrase, prononcée par l’acteur Raymond Rouleau, couturier dans Falbalas (Jacques Becker, 1945), à l’endroit de Micheline Presle, l’héroïne : « L’âme de la robe c’est le corps de la femme », qui ébranla l’esprit de l’enfant Jean-Paul Gaultier ? Quand, planté devant la télévision, il s’emplissait de propos, d’images, et de la fièvre d’une maison de couture.
« Je suis tombé amoureux de Micheline Presle et de Raymond Rouleau. Je voulais être lui, et mener cette vie-là. » Fait !
Falbalas
de Jacques Becker, 1944, avec Micheline Presle, Raymond Rouleau et Gabrielle Dorziat
Falbalas
c 1944/ STUDIOCANAL
Avec l’aimable autorisation de la succession Jacques Becker
De l’importance des muses
« L’âme de la robe c’est le corps de la femme », répète, dubitative, Olivia Gesbert, au micro de La Grande Table, sur France Culture. « Pour créer il faut avoir une muse », s’enflamme alors Jean-Paul Gaultier. « Quelqu’un qui provoque une réaction, une personne, qui donne des éléments créatifs ; l’âme de par sa personne, de par son allure. »
Des muses constelleront l’itinéraire de Jean-Paul Gaultier. Il se « fait du cinéma avec des silhouettes. » Tient à donner à voir différents types de femmes ; Punk, Rock, « autre chose que les froufrous. » Celles du Palace, qui, facétieuses, accrochent un soutien-gorge et par dessus, une veste. Ou celles, façon cuirasse.

© William Klein
Habiller Marilyn Monroe, un rêve inassouvi. Toujours les actrices ont influencé ce couturier, costumier pour de grands réalisateurs. Marlène Dietrich, Katharine Hepburn, stars hollywoodiennes, promenant leurs tenues androgynes comme pour clamer que les femmes ne sont pas obligées d’être continuellement ultra-féminines. Gaultier taillera un vestiaire mixte. Les podiums recevront des hommes coulés dans des jupes, les femmes en salopettes de mécano. Et, comme le trench-coat d’Humphrey Bogart ne s’excusait pas de son extrême virilité, il fut transformé en body sexy.
« Féministe, je l’ai toujours été. J’ai voulu montrer l’évolution de la femme et de l’homme dans le cinéma et dans la mode. L’homme qui devient plus féminin et la femme qui prend de plus en plus de pouvoir et de liberté », dit le couturier à l’AFP.

Bastien Pourtout & Edouard Taufenbach
Diptyque Marlene Dietrich : Masque & Narcisse, 2021
c Bastien Pourtout & Edouard Taufenbach, collection Pierre Passebon, 2021
À Brigitte Bardot, l’irrégulière, lanceuse de mode, il empruntera l’idée du Perfecto. Quant à Madonna, qui « est un style », avant qu’elle et le couturier ne fassent la paire, elle s’était propulsée à la première de Recherche Susan désespérément (Susan Sedeilman, 1985), déjà habillée Gaultier.

de Michel Boisrond. © 1959 Gaumont. Collection Gaumont. Avec l’aimable autorisation de Danièle
Thompson et des Successions Michel Boisrond et Annette Wademant.

La vie, par le cinéma
L’audace, l’excès, l’humour, la transgression, le couturier l’affirme, un film l’a aidé a acquérir tout cela : Qui êtes-vous, Polly Magoo ? (William Klein, 1966), conte de fées traversé d’absurde et d’ironie.
Le Satyricon, (Federico Fellini, 1969) lui inspirera la création des incroyables seins coniques dans la collection prêt-à-porter, 1983, baptisée Dadaïsme.
Et c’est Kika, de Pedro Almodovar, (1993), lequel avait demandé au couturier de donner à Victoria Abril un genre entre punk et Las Vegas, qui a amené Gaultier vers les icônes de la rue.

Kika, 1994 © Nacho Pinedo
Et que croyez-vous qu’il fit de la marinière qui moulait le torse des jeunes marins au coeur trouble dans Querelle, de Rainer Werner Fassbinder (1982)? Il l’allongea jusqu’à terre, lui flanqua plumes et broderies, si bien qu’elle monta sur le yacht de la femme d’affaires Mona Ayoub, et parada au bal de la Rose, à Monaco. Mazette! Et, simple marinière, elle apparut comme objet de séduction.


Pour Tonie Marshall
Soixante-neuf ans. Après ses adieux spectaculaires à la Haute Couture, Jean-Paul Gaultier, tel le Pierrot qui danse, fait des bonds. Retombe aujourd’hui à la Cinémathèque, où il fait défiler tenues de stars et films cultes. Projet engendré par sa grande amie Tonie Marshall, réalisatrice, disparue en 2020. La fille de Micheline Presle.
Falbalas, de Jacques Becker, ouvre le parcours, et, médusé, le public flâne, frôlant Jeanne Moreau habillée Pierre Cardin, Delphine Seyrig par Coco Chanel, Grace Jones en Azzedine Alaïa, Jane Fonda en Paco Rabanne. Les femmes fatales d’Hollywood laissent un brin de place aux gangsters, cowboys, super-héros, lesquels sont brusquement supplantés par une masculinité toute neuve, désagréable et puissamment désirable : Marlon Brando, trempé de sueur, serré dans le coton blanc de son mémorable tee-shirt. (Un tramway nommé désir, Elia Kazan, 1951). Parcours envoûtant.

Photo Georges Pierre copyright_Georges Pier

Romy Schneider et Gabrielle Chanel, 1961
© Giancarlo Botti/GAMMA-RAPHO

« Sans le défilé de Falbalas, je n’aurais jamais fait ce métier. » Jean-Paul Gaultier
Exposition CinéMode, Cinémathèque française. Paris. Jusqu’au 16 janvier 2022
Correctrice/Relectrice : Elsa de Breyne
Source : https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-culture/jean-paul-gaultier
Photo de couverture : La Cinémathèque française
Parcours envoûtant, on peut le dire et l’écrire! Merci à Renée, épatant guide à travers le temps et espace.
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Merci François! Le rappel de certains films était si bon. Falbalas m’avait enchantée, tu le sais. J’ai de l’affection pour Micheline Presle. Et des deux acteurs présents dans le film, tu connais ma préférence.
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Merci chère Renée pour ce parcours passionnant de ce créateur que l’on aime tant, justement pour » son audace, ses excès, son humour, ses transgressions » et aussi pour son charisme et sa générosité. L’exemple même de la joie de vivre.
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Vous avez raison, chère Sylvie, Jean-Paul Gaultier est « l’exemple même de la joie de vivre », et puis foisonnant d’idées. Le voir apparaître vous requinque immédiatement. Souhaitons qu’il nous ménage encore plein de surprises de ce genre.
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Oui en effet: encore des surprises!
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Comme à ton habitude, ma chère Renée, tu es dans l’excellence. Bravo. ❤️
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Merci mon cher Régis! Je rougis intérieurement. Extérieurement la chose est impossible! Bises.
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😂🤗
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Parcours envoûtant… et somptueusement mis en page ! J’avoue cependant que je préfère oublier Madonna et me réjouir de ses marinières. Merci Renée pour ce bel hommage à un créateur qui ne s’est jamais pris au sérieux.
Amitiés, Danielle
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Merci Danielle! Gaultier a tellement de facettes, ce qui permet « d’oublier Madonna » ou ses tee-shirts squelette, qui me glaçent
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Oh!! j’ai eu un geste inconsidéré et ma réponse est partie trop vite. Reprenons! Dans son imaginaire j’ai puisé bien des choses, j’aime son air dégagé alors qu’il s’intéresse à tout, j’aime sa gentillesse, extrême. Ce qui m’a touchée, c’est la présence à l’ouverture de l’exposition, de Michelle Presle, 99 ans, laquelle est à l’origine de sa carrière. Il poussait le fauteuil roulant. Il raconte au micro de « La grande table », « elle ne savait pas bien où elle était, elle est un peu Alzeimer, et puis vinrent les éclairs des flashes, alors elle a retrouvé son attitude d’actrice ». La pose devant les photographes revient donc instantanément… J’ai connu Micheline Presle, il y a plus de vingt cinq ans, une femme simple et délicieuse, bougeant beaucoup. Elle allait au cinéma tous les jours, à 14h. Elle a accepté des rôles dans le cinéma d’art et d’essai de jeunes réalisateurs. Le bon cinéma dans la peau! Bon week-end, Danielle.
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J’ignorais que Micheline Presle avait lancé JPG mais j’imagine bien la complicité de ces deux-là. Ils ont tellement de qualités en commun : la beauté joyeuse, l’humour, la simplicité, la gentillesse, l’impertinence… Renée, fais-nous des portraits de la relève, histoire de cultiver l’espérance. Bon dimanche ! Danielle
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En fait, Micheline Presle est à l’origine de la carrière de JPG en ce sens, comme il le dit, que c’est en regardant le film Falbalas que le déclic s’est produit : il serait couturier. Il le devint, et rencontra Tonie Marshall qui fut sa grande amie, et bien sûr Micheline Presle. Tu as raison, Danielle, la complicité est évidente, et sur la photo prise au vernissage, où il tient le fauteuil roulant de l’actrice, cela transparaît. Tu es gentille de penser que je suis en mesure de faire des portraits de la relève, merci! Je vais y songer… Bonne soirée!
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