Par Renée Valet-Huguet
C’était une nuit sombre. En même temps qu’elle avait senti sous son pied l’obstacle, elle s’était aplatie sur le trottoir, les bras en croix, et s’était vue aussitôt pareille à une descente de lit, effet peau de bête. Se relevant péniblement, elle avait considéré la large fissure mise en relief par un filet de lumière. Rayon inattendu, destiné à attirer l’oeil des passants sur un bout de vitrine. Au-dedans, en majesté, une robe de mariée. À sa vue, l’accidentée s’était sentie encore plus douloureuse. La sienne, sa robe de mariée, avait été faite sur mesure, avant d’être enfermée dans un placard, juste après que son père avait prévenu les invités que le mariage n’aurait pas lieu. Désormais ce vêtement symbolique lui apparaissait comme le spectre de la solitude.
Une année plus tard, oubliant la détestation qu’elle devait à la rue du Plat, un matin elle l’emprunta. À la hauteur des vitrines de robes de mariées, d’instinct son regard obliqua, partit à la recherche de la fissure fatale ; elle était convaincue que le danger subsistait. Lyon se crevassait, mais aux travaux de réfection d’usage étaient préférés d’orgueilleux chantiers. Soudain elle se figea. Une petite nappe de céramique recouvrait la plaie urbaine. La main habile, le goût sûr, quelqu’un avait composé une oeuvre d’art. Des carrelages en alignement, et étagés, des couleurs d’été, la finesse de l’artiste allant jusqu’à border de blanc la composition, en harmonie avec les robes de mariées.
Le surlendemain, elle croisa le facteur à la porte de l’immeuble, et lui fit part de sa découverte. Il eut un sourire entendu. Oui il savait. Un facteur ça circule. Ça parle. C’est en 2016 que le rapetassage du bitume avait commencé, mais attention, de l’artistique. Du malicieux aussi, genre pied de nez à la Métropole qui négligeait la chaussée. Lui, sa préférence allait aux raccommodages du 7, rue des Capucins, une impasse qui jouxte le café théâtre. Tout au fond, des traits à la fois discrets et psychédéliques, disséminés comme des pin’s pour raviver une vieille veste. Lyon 1er, c’est petit, mais réputé artiste, et ma foi, un peu dissident aussi. Au reste, on racontait que l’artiste était recherché, car nul n’a le droit de fixer des créations sauvages sur le bitume. Peut-être des ragots. L’irrégulier opérait la nuit, ça c’était sûr. Se déplaçait à moto. Ou mob?
Cette année 2018, le blog de Fabien Dhondt, Happy Curio, dénombrait 64 oeuvres, indiquait les adresses.
Pressée par une curiosité un peu jalouse, étant elle-même nouvellement artiste, elle avait couru tous les arrondissements, épatée par la variété des flaques. Et si les oeuvres renfermaient des messages secrets?
Aujourd’hui le mystère a perdu de son épaisseur. Le succès ne souffre pas l’anonymat. L’ombre, qui se fait appeler le raccommodeur de bitume, porte désormais un nom : Ememem. Se réclame d’une technique, le flacking. Ses fresques fréquentent festivals, résidence artistique. Des afficionados photographient jalousement les oeuvres. Le compte Instagram de ce styliste de rue déborde d’images et d’abonnés. Mieux, Paris nous l’envie. De même d’autres capitales. Il y va.
Pas de projecteurs sur sa personne toutefois, à la manière du couturier belge Martin Margiela. Et cette discrétion nous agace, et nous plaît, en ces temps narcissiques.
Lyon Quai de Retz. Photo ID de femmes Lyon Rue de la Vieille. Photo ID de femmes Lyon Rue des Capucins. Photo ID de femmes
Message de Ememem à ID de femmes :
Pour être franc, je n’ai jamais demandé d’autorisation à la ville de Lyon avant d’agir sur les trottoirs. Ce n’est que récemment que la mairie a pris contact (après avoir laissé 250 cartes de visites-pansement pour trottoir dans la ville !) pour me commander des oeuvres.
Je vous souhaite un très bon bitume,
Em’
Suivez la folle aventure du flacking sur : www.ememem-flacking.netou https://www.facebook.com/emememstreet
Correctrice/Relectrice : Elsa de Breyne
Photo de couverture : Ememem
C’est fabuleux ce qu’a fait Ememem ! Un pied de nez à une dégradation non gérée par d’obscurs responsables bitumiers. Je vais aller voir son site et son compte Instagram.
Merci de nous avoir initiés au rapetassage bitumier, non seulement salutaire pour la bonne santé des emprunteurs bitumiers, passants et autres, mais qui met de la belle couleur à un fond plutôt tritounet, tout en effectuant un bras d’honneur non violent à notre société en perdition…
Je reste en amour avec tes écrits ma Renée… Merci pour cet opus.
Amitiés et bises emplumées.
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Tes mots me font un immense plaisir. Je suis si heureuse que tu sois ainsi sensible à mes « écrits. » Sais-tu que j’ai un peu pensé à toi en rédigeant, me disant que tu n’auras pas connu ces fantaisies lyonnaises pleines de symboles puisque tu as quitté Lyon il y a longtemps maintenant. La ville s’est enrichie d’artistes dont les oeuvres ornent la ville, mais, comme nous le dit ici François Cohendy (notre critique cinéma du Progrès) les murs peints ne l’émerveillent pas comme les mosaïques d’Ememem. Moi de même. Quant aux bitumiers comme tu les appelles, ils ont d’autres ambitions! Les écolos cependant semblent plus actifs.
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Quelle idée magnifique ! Merci de nous la partager. Je suis enthousiasmée – vous imaginez une visite de votre belle ville de bitume coloré à un autre bitume artistique et sécurisant.
Une belle oeuvre, et une bonne oeuvre.
Dans le même état d’esprit, un été, un artiste avait officiellement coloré les plaques d’égout de diverse formes de toutes couleurs. Cela se passait à Saint Briac sur Mer. Les couleurs se sont estompées, mais les photographies restent !
Ce printemps 2021, c’est à Saint Servan sur Mer que les jolies idées sont venues aux commerçants : les trottoirs ont été illustrés de fleurs, papillons, etc, de toutes couleurs.
Amitiés 🙂
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Merci France de ce que tu nous contes. La Bretagne se veut donc en couleurs… En Afrique, dans les années 50, au milieu de guerres stériles, certains congolais ont décidé de « mettre de la couleur sur toute cette m… » et ils se sont vêtus de couleurs aux mélanges improbables. Ils s’appelaient « sapeurs », de S.A.P.E. (Société des ambianceurs et personnes élégantes) Le mouvement demeure.
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Cette histoire est extraordinaire et ces « oeuvres » très intéressante et artistiques dans l’esprit « street art ».
Bravo Ememem et merci Renée.
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Merci Claude. Oui, Lyon a cette chance d’abriter Ememem qui, comme il le dit, « écoute les trottoirs », les soigne.
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J adore »tomber » au hasard des rues lyonnaises sur ces petits pans de pure poésie…
Merci Renée de ce charmant article!
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Ton commentaire a un air de poésie, merci Véronique. Ces « petits pans de pure poésie » égayent et le bitume, et nos coeurs, nous faisant oublier que les édiles de la ville semblent indifférents au vieillissement de la chaussée.
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Bizarrement. je déteste le « street art » ou les envahissants (et souvent très quelconques) murs peints, mais j’adore ces mosaïques beaucoup plus subtiles, dotées de couleurs parfaites.
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Mon sentiment est pareil au tien!
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Des taches de couleur comme des explosions de joie et de défis à la tristesse des trottoirs et de ceux qui les ont habillés. L’imagination au pouvoir!
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L’imagination au pouvoir! Ememem ne manque ni d’imagination, ni de talent. De fait, à quand un gouvernement exclusivement composé d’artistes!
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Merci pour nous avoir fait connaître ce racommodeur de bitume, dont le travail m’enchante.
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Sylvie, je suis heureuse que vous ayez eu connaissance de cet artiste particulier qui vous enchante, ainsi que beaucoup. Lyon est fière!
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Ces mosaïques colorées et si talentueusement réalisées sont de vrais bijoux, ils nous disent combien certains savent embellir notre existence.
Merci Chère Renée de ce si joli papier.
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Bien sûr tu as reconnu les fabuleux raccommodages de ta ville! Précieux artiste. L’imagination au pouvoir disaient les idéalistes de 68! J’ajouterai « et le talent » Merci chère Christiane de ta fidélité.
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Merci de nous rappeler avec ta plume sérigraphique cette fonction de l’art quand il nous surprend quand on s’y attend le moins
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Merci pour ton appréciation qui me touche. Merci aussi pour tes articles qui m’entraînent dans des contrées désirées, qui font surgir des musiques qui m’enchantent.
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Holà! J’avais bien remarqué ces « pastiches » de couleur, sans avoir fait le lien avec quoi que ce soit d’autre, sinon que c’est beau. Je découvre donc le Pourquoi du comment…. Décidemment (cf. Le talons et leur Histoire!).
J’adore Lyon, j’y suis venu durant plus de 10 ans pour diverses raisons, mais je suis familier de la ville depuis la Première Biennale d’Art Contemporain qui avait motivé le premier séjour (Merci à son fondateur!) C’est ainsi que j’ai pu vivre au fil des années la Transformation des environs de La Sucrière, quartier qui je le pense, ne serait jamais devenu ce que cette pointe de presqu’île est devenue par le fait de l’art justement et de cette Biennale surtout, si peu fréquentée alors par les Lyonnais-es! Alors Moustik a montré la voie à bien des hésitants…
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Merci! Contente de vous dévoiler des choses ignorées de vous! Et quel plaisir d’apprendre votre goût pour ma ville, Lyon. Vous avez entièrement raison quant au quartier de la Sucrière. La Biennale d’Art Contemporain a bouleversé le train train culturel de la ville. J’y vais depuis la première édition. J’étais épatée par la Biennale off. J’ai moi-même été longtemps impliquée (on dit acteur) dans le marginal Marché de la Mode Vintage, qui maintenant a lieu à la Sucrière. Lyon est devenue moins frileuse, les édiles ont changé, des gens sont venus s’installer, venant d’un peu partout, atténuant le halo bourgeois qui parfois me gênait. Des galeries ont vu le jour… C’est une ville enviée, avec ses quais superbement aménagés, ses murs peints (j’y suis peu sensible) et désormais ses pansements, que Paris nous envie!
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Lorsque j’ai découvert Nantes et l’aménagement de l’île de Nantes, la comparaison s’est immédiatement imposée, notamment par le fait générateur des transformations du fait d’un acte artistique comme à Lyon…
Vous avez donc connu la Biennale à la Halle Tony Garnier et hors les murs comme à l’abbaye de Brou ou encore au Couvent de La Tourette….. ou dans bien des friches industrielles.
Les murs peints, oui, Bof! Alors que l’on trouve des fresques et créations de tous ordres et de toute beauté tout autour du pont ferroviaire de la Mulatièreet sur les quais par exemple,
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Je ne connais pas Nantes et cependant j’avais suivi toutes les innovations qui s’y étaient produites. Oui, j’étais allée jusqu’au couvent de la Tourette, dont j’aime l’architecture, et à Brou. Ces dernières années j’étais moins emballée par les expositions. Peut-être un essoufflement, de part et d’autre!
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En elle-même, la seule abbaye de Brou est une architecture qui donne du souffle….
Nantes à une Sucrière bien plus monumentale qu’à Lyon également en bord de fleuve et qui est toujours en activité…. elle est magnifique….
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Merci!
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Avec plaisir,
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Plaisir des yeux !
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Merci Lisa! Oui, c’est un vrai « plaisir des yeux »
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